vendredi 30 octobre 2009

Les Galbraith convertis au libéralisme européen ?

La famille Galbraith serait-elle devenue libertarienne ? C’est la question que l’on peut se poser au vu du titre de l’ouvrage de James (le fils de John), intitulé «l’Etat-Prédateur »[1]. Cette charge violente semble en effet annoncer des convergences inattendues avec l’analyse libérale classique. Pour Galbraith Jr, l’Etat (sont visées ici les démocraties libérales contemporaines) n’est autre que l’instrument privilégié des grandes corporations pour extorquer le maximum d’avantages et de profits à l’encontre des opprimés qui représentent la majorité de la population. Cette thèse post-marxiste entre en résonnance avec l’analyse libérale de la formation historique de l’Etat comme institutionnalisation de la domination d’une caste violente sur le peuple (que l’on pense à la féodalisation, où la noblesse assoit son pouvoir en échange de service de sécurités ; ou encore à l’approche d’un Hoppe sur l’Etat comme instrument aux mains des fonctionnaires exploitant les contribuables…).

Ne nous leurrons pas : ces convergences trouvent vite leurs limites, car Galbraith n’en tire pas la conséquence qu’il faut limiter le pouvoir de l’Etat. Selon lui, en effet, c’est par l’intermédiaire de l’économie de marché que l’Etat maximise son entreprise d’exploitation. Pour y mettre fin, il conviendrait de rejeter cette idéologie du marché libre, pour lui substituer une nouvelle planification, c'est-à-dire le contrôle de l’Etat sur l’économie. Par quel mécanisme l’Etat-«méchant» qui manipule le marché se transforme-t-il en un Etat-«bienveillant» qui planifie et redistribue, c’est ce que nous n’apprendrons pas dans l’article cité en note.

Ceci posé, on pourrait se demander pourquoi la planification n’est pas une démarche libérale. Dans le cadre de l’économie de marché, il est évident que chaque agent planifie l’essentiel de ses actions, l’hypothèse de rationalité (si l’on excepte des situations exceptionnelles comme les bulles spéculatives) semblant la plus adaptée pour expliquer les comportements. Pourquoi ce qui est nécessaire à un agent quelconque est-il non pertinent pour l’Etat ?

A l’évidence, l’Etat n’est pas un acteur économique comme les autres. D’une part son objectif premier n’est pas la maximisation du profit, mais la réalisation de projets politiques plus ou moins clairs, susceptibles d’évoluer au gré des circonstances. D’autre part, il s’appuie essentiellement sur la contrainte (réglementation, fiscalité), et n'est donc pas soumis aux règles habituelles du marché.

Comme montré par l'analyse économique, la planification n’est pas viable pour deux raisons :

1/ la capacité des agents à s’adapter face aux intentions affichées par l’Etat (anticipations adaptatives). Car si la planification n’est qu’indicative, elle se résout à un service des études. Mais si elle adopte un caractère impératif, elle se heurte aux réactions des agents. On sait par exemple qu’une politique de change clairement affichée rend les Banques Centrales vulnérables à la spéculation.

2/ le caractère ouvert de l’environnement. Le socialisme dans un seul pays est peut-être possible au prix d’une formidable machine répressive. En économie ouverte, c’est une impossibilité totale. La planification ne peut être que mondiale ou elle ne sera pas. Pour l’heure, on voit à quel point les divergences d’intérêts et de point de vue rendent quasi-impossible la simple coordination des Etats.

Même pour un agent privé, la planification fait de moins en moins sens à mesure que s’élève le niveau de complexité. Le coût d’acquisition de l’information mais surtout le degré d’incertitude tendent alors à croître de manière exponentielle. En situation d’incertitude élevée, plus qu’une planification rigoureuse, c’est la capacité à dégager une vision stratégique doublée d’une habileté tactique dans le pilotage de crise qui s’impose. D’où plutôt que la planification, des techniques comme le management par objectifs qui ne prétendent pas encadrer la totalité du réel dans un paradigme unique.

L’expérience montre que l’économie de marché n’a pas à rougir de ses performances même dans les domaines où elle est le plus critiquée, tels l’environnement ou les inégalités sociales. L’expérience montre aussi qu’a contrario les tentatives de planification déclenchent davantage d’effets pervers qu’elles ne résolvent de problèmes. Le retour aux vieilles lunes planificatrices n’est vraisemblablement pas le meilleur moyen de mettre fin à l’Etat-prédateur. Non, hélas, pas plus que son père, Galbraith Jr, n’est devenu un libéral européen…

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