vendredi 9 octobre 2009

La chasse aux monopoles

Nous poursuivons notre tour d’horizon des présumées défaillances du marché avec la question des monopoles. Voilà un bien vilain mot qui réussit l’exploit de mettre tout le monde d’accord contre lui, des marxistes aux libéraux. Cette unanimité pourrait conduire à suspecter un phénomène de bouc émissaire, peu justifié en fin de compte…

Commençons par résumer la position traditionnelle. Pour les néo-classiques, le monopole apparaît lorsqu’une entreprise contrôle toute la production d’un bien. Dans le but de maximiser son profit, elle va produire jusqu’au point où la recette marginale égale le coût marginal mais, compte tenu de la forme de la courbe de demande, proposera un prix plus élevé que le coût marginal (niveau qui aurait dû résulter logiquement du marché concurrentiel). On comprend notamment que dans les secteurs où les coûts sont décroissants, l’entreprise leader pourra facilement acquérir une position monopolistique. Au final, les monopoles délivrent un volume de production inférieur à des prix plus élevés que ne le feraient des entreprises en situation de concurrence pure et parfaite. Ils sont donc nuisibles au bien-être du consommateur et doivent être combattus à ce titre.

Comment une firme peut-elle obtenir une position de monopole ? Pour les économistes néo-classiques, les entreprises tentent d’ériger des barrières à l’entrée pour dissuader les entrants potentiels, et augmenter leur « surplus » de monopole (différence entre le profit en concurrence et celui dégagé par le monopole). Comptent comme barrière à l’entrée les économies d’échelle, la différenciation des produits, la concurrence par les prix, la publicité… Toutes ces manifestations de la concurrence dans la vie réelle peuvent être condamnées par les néo-classiques comme tendant à créer des monopoles ! Cela doit nous mettre sur la piste d’un défaut grave dans cette conception.

Les économistes autrichiens ont été les premiers à analyser les erreurs du paradigme de la concurrence pure et parfaite, une utopie à caractère statique qui confond le résultat et le processus, et qui ne permet donc pas d’analyser la réalité de la pression concurrentielle. Pour Mises et Kirzner notamment, ce concept de concurrence pure et parfaite est fort éloigné de la manière dont fonctionne le marché. Ils font ainsi ressortir que les barrières à l’entrée introduites par les économies d’échelle ou la différenciation des produits ne témoignent pas d’une mauvaise allocation des ressources mais bien de ce que la satisfaction des consommateurs face à l’offre existante rend l’entrée de nouveaux concurrents plus difficiles. Il est donc absurde de demander à l’Etat de réglementer pour bousculer une situation déjà optimale en elle-même.

Tentant de définir le phénomène de monopole, Mises le voit comme le contrôle par un seul fournisseur de la totalité de l’offre d’un produit. Cela ne dégage pas nécessairement un prix de monopole car il faut également que la demande soit inélastique par rapport aux prix. Kirzner pour sa part considère le monopole caractérisé lorsqu’un entrepreneur contrôle les ressources nécessaires à la production d’un bien. Il constate néanmoins que le monopoleur n’est pas à l’abri du processus de concurrence, puisque qu’il est toujours possible de produire des biens alternatifs au bien monopolisé ou de tenter de faire émerger une nouvelle demande.

C’est Rothbard qui va pousser le plus loin la réflexion. Il distingue trois définitions possibles du monopole : le vendeur unique d’un produit ; l’obtention d’un prix de monopole ; l’attribution par l’Etat d’un privilège ou d’une barrière à l’entrée. Pour Rothbard, la première définition, si elle a l’avantage de la cohérence, n’est pas applicable : elle peut englober toute production, puisque qu’il est toujours possible d’accumuler les qualificatifs d’un produit de façon à ce qu’il ne corresponde in fine qu’à la production d’un seul producteur. Ainsi peut-on parler du produit « voiture », puis en préciser progressivement les caractéristiques jusqu’à ce qu’un seul modèle d’un constructeur donné soit concerné ! Autrement dit, tout produit est susceptible d’une façon ou d’une autre d’être considéré comme faisant l’objet d’un monopole.

La deuxième définition (prix de monopole) n’est pas davantage applicable. Il est impossible de distinguer sur un marché libre le prix de monopole du prix concurrentiel. Toutes les entreprises tentent de maximiser leur profit en se positionnant sur la partie la plus avantageuse pour elles (c’est-à-dire la moins élastique) de la courbe de demande des consommateurs. Elles n’hésiteront pas non plus à réduire leur production si cela augmente leur bénéfice total. Aucun critère n’existe pour définir ce que devrait être le prix concurrentiel car aucune situation de marché n’est parfaitement similaire à une autre. Il n’est donc pas possible d’affirmer que le consommateur a été lésé par un manque de concurrence (en tout cas sur un marché libre).

Cette conception rejoint l’idée de la concurrence comme un processus global qui ne peut s’apprécier par des critères objectifs (nombre de producteurs, part de marché, etc). Tant que l’entrée sur le marché n’est pas limitée par une contrainte juridique, les entreprises existantes, fussent-elles seules sur leur marché, vivent sous la pression d’une entrée possible de compétiteurs. Ceux-ci le feront s’ils pensent faire mieux ou autrement que l’entreprise existante. La concurrence est invisible, mais bien réelle. C’est donc toute l’erreur des politiques concurrentielles (FCC aux Etats-Unis, Commission européenne, ou nationales) que de vouloir artificiellement stimuler la concurrence en s’attaquant aux entreprises dominantes. Une rapide analyse historique montrerait d’ailleurs que dans la plupart des cas, les décisions « anti-monopoles » sont provoquées bien moins par le souci de protéger le consommateur que par la stratégie de concurrents préférant le terrain politique parce qu’incapables de rivaliser sur le marché avec les même standards d’excellence. Cela apparaît clairement lorsque la Commission européenne veut par exemple interdire à Microsoft d’intégrer systématiquement et gratuitement Internet Explorer à Windows. Cette décision contraint l’acheteur d’ordinateur à des démarches supplémentaires pour disposer d’un navigateur sans lui accorder aucun avantage en échange. Sa situation est donc objectivement dégradée par l’intervention « anti-trust».

Finalement la seule situation où l’on peut parler à bon droit de monopole est celle où l’Etat crée des barrières (juridiques, financières, réglementaires,…) à l’entrée sur le marché. Il s’agit bien dans ce cas d’une réduction artificielle (par une contrainte extérieure au marché libre) de la concurrence, qui aboutit à un profit de monopole au détriment du consommateur.

Tout comme la notion d’externalité abordée dans mon précédent billet, le concept de monopole se dégonfle comme une baudruche lorsque qu’on le considère attentivement. Loin de constituer une caractéristique intrinsèque du capitalisme, le monopole n’est qu’une conséquence de l’économie dirigée, à haute dose dans les anciennes démocraties populaires, en quantité plus modérée dans les démocraties dites de marché. Une défaillance de l’Etat donc, et non du marché.

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