vendredi 30 décembre 2011

Les privatisations, une ardente obligation?

Privatiser (vocable qui l’a heureusement emporté dans les années 1980 sur l’éphémère « dénationalisation », trop négatif), c’est rendre au secteur privé la responsabilité d’activités économiques précédemment accaparées par la sphère publique. Dans les années 1970, l’inflation des dépenses gouvernementales qui s’accompagnait d’une extension continue des entreprises publiques a débouché sur une crise majeure ; celle-ci a entraîné au début de la décennie suivante la mise en œuvre des réformes Reagan et Thatcher, imitées dans nombre d’autres pays. L’échec, on peut dire la tragédie, de l’expérience socialiste achevée avec la chute du Mur de Berlin, a conforté la nécessité du renforcement de la part du privé dans l’économie.

20 ans après, le libéralisme a-t-il gagné la bataille des idées ? Certes, les facteurs qui poussaient aux privatisations existent toujours, et se sont même renforcés : l’environnement économique est devenu toujours plus volatil, plus mondialisé ; le secteur privé, avec sa capacité d’adaptation et d’innovation, son aptitude à prendre des risques, sa vision globale plus qu’étroitement nationale, est mieux à même de tirer son épingle du jeu que les lourdes entreprises publiques souvent héritières des industries traditionnelles. Imagine-t-on un Google ou un Facebook publics ? Et pourtant, les critiques relèvent la tête et tentent aujourd’hui de discréditer les résultats des privatisations. Essayons donc d’y voir plus clair.

Au sein des différents programmes de privatisation mis en place depuis 30 ans, on peut discerner au moins deux attitudes de la part des gouvernements, l’une à dominante théorique, et l’autre plus pragmatique. L’approche théorique, appuyée sur les travaux de Buchanan, Friedman ou Hayek, met en place une stratégie économique globale de libéralisation, déréglementation et privatisations. Selon cette vision, seul le jeu libre du marché est à même de parvenir à un optimum économique, que les gouvernements n’ont pas la capacité d’analyser, encore moins de contrôler. L’approche pragmatique quant à elle tient davantage compte du contexte politique, est influencée par les effets de mode, et s’appuie sur une analyse au cas par cas : que peut-on espérer concrètement de la privatisation de cette entreprise, par rapport à la gestion actuelle ? Quelles mesures intermédiaires mettre en place ? Comment satisfaire tous les groupes de pression ? Dans les pays démocratiques, à cycle électoraux courts et dans lesquels la compréhension des mécanismes économiques reste aléatoire, il est inévitable que la vision pragmatique l’emporte.

Ce triomphe de la pensée pragmatique complique singulièrement l’appréciation du bien-fondé des privatisations. Ainsi, une entreprise privatisée dans un contexte hyper-réglementé et lourdement fiscalisé ne peut pas déployer tout son potentiel. De plus, des conséquences possibles des privatisations comme la diminution des effectifs ou la hausse des tarifs risquent d’avoir un impact macro-économique négatif dans un contexte de rigidité de l’économie. On sait en effet qu’une économie déréglementée est dotée d’un potentiel de création d’emplois capable d’absorber l’arrivée sur le marché du travail des employés excédentaires, alors qu’une économie rigide verra un accroissement mécanique du chômage. Un certain nombre de difficultés tiennent donc à une mise en œuvre insuffisante plutôt qu’excessive du programme libéral.

Les programmes de privatisations sont confrontés à d’autres difficultés en termes de relations publiques. C’est notamment le cas lorsque des entreprises redressées par l’investisseur privé voient leur valeur s’envoler. L’opposition a alors beau jeu d’accuser le gouvernement d’avoir bradé les « bijoux de famille ». Mais l’argument est fallacieux : c’est l’apport du privé qui a généré de la valeur. Au moment de la privatisation, l’entreprise avait bien la valeur que le marché lui attribuait. Dés lors que le processus de privatisation est suffisamment transparent et concurrentiel, le prix payé par l’investisseur est par définition juste. Une autre difficulté surgit lorsque l’entreprise récemment privatisée augmente ses tarifs, et s’expose à l’impopularité. Mais dans la mesure où son marché est concurrentiel, c’est le prix du marché qui doit être payé par les consommateurs (sauf à introduire des correctifs sociaux, dans lesquels le gouvernement aiderait certaines catégories – une approche qui n'est pas sans risque).

La place manque ici pour établir un bilan complet des privatisations. Mais en tenant compte des remarques mentionnées ci-dessus, il paraît assuré de tirer des conclusions positives. Même les pays post-socialistes qui ont connu une décennie 1990 difficile, marquée aussi par le caractère souvent semi-mafieux de nombres de transactions, ne remettent plus aujourd’hui la démarche en cause.

Pour aller encore plus loin, et transférer au privé la responsabilité des infrastructures (typiquement publiques), la pratique des Partenariats Public Privé (PPP) s’est largement développée depuis quelques années. Dans ce cadre, l’Etat conserve un rôle de maîtrise d’ouvrage mais concède au privé la conception (souvent), le financement, la réalisation et la gestion de l’ouvrage, qu’il s’agisse d’un pont, une autoroute, une école, un hôpital… L’investisseur se rembourse au moyen soit d’une redevance annuelle versée par l’Etat soit des revenus générés par l’infrastructure (par exemple, les péages). L’intérêt de la formule tient à ce que le contrat de partenariat peut fixer de manière précise les objectifs de l’ouvrage en termes de qualité, de prix, etc, tout en laissant au privé le choix des moyens. Dans un contexte de pression concurrentielle faible sur les marchés concernés, cela permet d’éviter les pièges des privatisations exposés ci-dessus, et aussi d’intensifier la concurrence à l’occasion des appels d’offres préalables à la passation des marchés. Intelligemment pratiquée (car la méthode a aussi ses pièges et ses dérives), les PPP sont susceptibles d’améliorer la qualité des infrastructures et de jouer un rôle pédagogique en acclimatant le public au rôle que peuvent jouer les acteurs privés dans tous les domaines.

Quelles que soient leurs formes, leurs modalités et leur environnement, on peut l’affirmer sans crainte, les privatisations n’en sont qu’au début de leur histoire.