mercredi 16 décembre 2009

A quand la crise chinoise ?

Peu touchée par la crise, la Chine apparaît comme la locomotive de l’économie mondiale. Les prévisions officielles font état d’une croissance de 9% en 2010. Faut-il appeler à la prudence ? De même que le crash de Dubaï a pris le monde par surprise, les facteurs de fragilité de l’économie chinoise pourraient bien éclater avec violence dans les prochains mois, même si, comme pour l’Apocalypse selon la Bible, on ne connaît ni le jour ni l’heure.

Comme Dubaï, la Chine est confrontée à une situation de sur-investissement. Le rapport de l’investissement au PIB dépasse 50%, un chiffre qu’aucun pays à aucun moment de l’histoire n’a seulement approché. L’Allemagne avait atteint 27% en 1964, le Japon 36% en 1973 et la Corée du Sud 39% en 1991. Le prix à payer est la diminution de la rentabilité de ces investissements. Jusqu’à 2008, pour obtenir un dollar de PIB, il fallait un dollar et demi d’investissement, mais ce chiffre est passé à 7. Pékin est rempli de gratte-ciels inoccupés, d’infrastructures désertes, de bureaux vides…

Confrontées à la nécessité de redéployer l’économie sur le marché intérieur (les exportations ont baissé de 15% en 2009), les autorités qui continuent à maîtriser une bonne partie du processus d’allocation des ressources ne savent comment procéder. L’investissement industriel piétine, alors que les ressources sont engagées dans des grands projets inefficaces. Pour développer l’industrie, il faudrait résoudre un certain nombre de goulots d’étranglement (accès aux technologies, formation des cadres, matières premières,…) et laisser plus de place aux mécanismes de marché. Faute de cela, la corruption prospère et les réformes stagnent. A cet égard le plan de relance décidé en novembre 2008 génère un effet d’éviction de l’investissement privé par l’investissement public et aggrave le problème.

Autre facteur aggravant, le système financier est toujours aussi inefficace : les entreprises petites et moyennes n’ont que très peu accès au crédit, et le crédit à la consommation reste embryonnaire. Dans l’environnement politique et réglementaire local, il est plus facile pour les banques de se concentrer sur la clientèle captive des grandes entreprises d’Etat plutôt que de prendre des risques sur de nouveaux marchés…

La politique de change administré empêche l’adaptation aux flux de capitaux à court terme, qui risque de déstabiliser l’économie en 2010. Attirés par le différentiel de croissance avec les marchés développés, ces capitaux pourraient arriver en masse, ce qui provoquerait une bulle spéculative. Leur retrait brutal, comme de règle en pareil cas dès qu'évolue le contexte international, pourrait alors entraîner de graves déséquilibres. Compte tenu des réserves de change considérables accumulées grâce aux excédents commerciaux, il est peu probable que cette crise à venir se transforme en défaut de paiement, mais l’impact sur la sphère réelle pourrait être considérable.

La croissance à long terme de la Chine est une évidence. Mais la route pourrait être moins lisse qu’il ne semble généralement.

mercredi 9 décembre 2009

L’heure de vérité

La sortie de crise (le troisième trimestre 2009 a vu une croissance du PIB de l’euro-zone de 0,4%) n’est-elle qu’une illusion ? Pour une reprise vigoureuse plaident certes plusieurs facteurs, tels la bonne tenue des marchés émergents (la crise de Dubai affaiblit singulièrement cet argument) ou le retour de la confiance des ménages dans un certain nombre de pays. Il reste que la balance risque plutôt de pencher du côté d’une longue stagnation, voire d’une rechute.

C’est le point de vue de la Deutsche Bank par exemple, pour laquelle il faut s’attendre à une série de cycles (courbes en U). Le premier U est en cours. Le second serait provoqué par la hausse du chômage, qui entraînera une baisse du revenu des ménages et une contraction du commerce de détail au cours de l’hiver. Le troisième U interviendrait entre le deuxième et le troisième trimestre 2010, lorsque les Banques Centrales réduiront graduellement leurs programmes de soutien à l’économie. La Chine, l’Inde et la Corée entreraient dans cette phase plus tôt que les grands pays européens au cours de l’année 2010. Les partisans de cette thèse font valoir que les efforts des Banques Centrales n’ont pas eu l’impact escompté, en partie parce que les banques de deuxième rang ne réinjectent pas dans l’économie les capitaux qu’elles reçoivent. Dans le contexte de crise, le rating des sociétés de l’économie réelle décroît, ce qui pousse les banques à limiter leurs risques, et donc leurs encours. De ce point de vue, il ne faut pas s’attendre à une amélioration rapide, d’autant que le choc subi par le secteur bancaire l’amène à accorder la priorité au renforcement de sa stabilité interne plutôt qu’à une recherche de l’expansion. La masse monétaire en circulation (M3) en Europe aurait ainsi baissé de 8% depuis le déclenchement de la crise. Les moyens publics de lutte contre la crise apparaissent dés lors voués à l’échec. En juin, la BCE avait injecté 442 milliards d’euros, soit 5% du PIB annuel de la zone. Ces fonds sont restés pour l’essentiel sur le compte de la BCE ou sur des comptes interbancaires. En octobre, le taux d’intervention a été baissé en dessous de 1%, également sans résultat. Il est vrai que selon la Fédération européenne des banques, le coût de la crise pour les banques européennes s’élèverait à 420 milliards d’euros.

La situation est identique aux Etats-Unis. Alors que les banques conservaient en moyenne sur le compte de la Fed un montant de 0,3% du PIB sur les 20 dernières années, ce chiffre s’est élevé sur 2008-2009 à 6%. On se rapproche du phénomène de trappe à liquidités, qui a caractérisé l’économie japonaise des années 1990. Malgré des dépenses étatiques toujours croissantes (l’endettement public japonais atteint aujourd’hui 200% du PIB), aucune traduction sur l’économie réelle ne s’est fait sentir. Anticipant des hausses d’impôts pour rembourser la dette, les agents cessent d’emprunter et de consommer, mais au contraire utilisent leurs revenus pour réduire leur endettement. La baisse du marché entraîne une réduction des investissements, le tout générant une spirale dépressive dont il est très difficile de sortir. Certains économistes prétendent dans ces conditions, et contre toute vraisemblance, que la dépense publique est le seul moyen de soutenir l’activité! La réalité, c’est que la dépense publique excessive est à l’origine de la crise, et que son maintien l’alimente.

Il est vrai que la croissance allemande a augmenté au 1er trimestre de 0,5% par rapport à l’année précédente. Mais cette augmentation est un phénomène temporaire essentiellement dû à la prime de soutien de 2500 euros en faveur des acheteurs d’automobiles neuves, qui a conduit à une augmentation de 30% de la production au 1er semestre. Pour la majorité des observateurs cependant, ce type de mesure s’apparente à un effet d’aubaine, qui conduit les consommateurs à accélérer leur décision d’achat sans modifier sensiblement le volume de la demande à moyen terme.

Quoiqu’il en soit, la crise a conduit à une dégradation des finances publiques de l’ensemble des pays développés, dues à de moindres rentrées fiscales d’une part, et d’autre part aux dépenses destinées à la relance. Avec les niveaux d’endettement public d’ores-et-déjà atteints (87% du PIB en France, 89% au Royaume-Uni, 97% aux Etats-Unis, 127% en Italie…), l’inflation apparaît comme l’issue la plus vraisemblable pour le remboursement de la dette qui commence à peser de tout son poids sur les budgets nationaux.

La reprise sera rendue d’autant plus difficile que le commerce international s’essouffle, et que les tentations protectionnistes se font plus fortes. Au premier semestre 2009, les exportations allemandes, américaines et chinoises ont baissé de 30%, et japonaises de 50%. Le commerce mondial devrait baisser de 15% sur l’ensemble de l’année. Cela fragilise les économies très ouvertes, comme celles de l’Allemagne ou de la Chine. L’Allemagne est particulièrement touchée en période de recul de l’investissement du fait de sa spécialisation sur les biens d’équipements. Son affaiblissement se répercute mécaniquement sur ses voisins européens, tels la France, qui profitaient jusque là de la dynamique de son marché.

Une partie de la réponse résiderait dans l’amélioration du fonctionnement des banques. Celles-ci se sont trop souvent orientées vers des activités spéculatives à forte rentabilité, et donc à fort risque, comptant sur le soutien de l’Etat en cas de difficulté. Ce soutien s’est effectivement largement manifesté (à l’exception du cas de Lehman Brothers, dont la faillite est bizarrement interprétée par les étatistes comme un facteur aggravant de la crise alors qu’elle traduisait plutôt un assainissement du marché). Les Etats cherchent aujourd’hui à compenser l’aggravation objective de l’aléa moral (le principe Too big to fail) par un renforcement de la régulation. Mais on sait que cette démarche va échouer : les organes de surveillance et de contrôle ont toujours un train de retard sur la créativité du marché. Ils sont capables de sanctionner les dérives d’hier, mais non celles de demain. Seule une véritable concurrence peut modifier les règles du jeu, un système où chacun serait responsable de ses actes, et donc amené à trouver un équilibre optimal entre risque excessif et stérilisation des capitaux.

La politique monétaire laxiste des Banques Centrales à l’origine de la crise car favorisant le surinvestissement et les bulles spéculatives a été renforcée avec la crise. Mais les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’effet de stimulation artificielle de ces politiques devrait rapidement s’épuiser dans le courant de l’année 2010. L’économie mondiale connaîtra alors son heure de vérité.