lundi 26 octobre 2009

Crise du lait

La crise du lait illustre une nouvelle fois toutes les difficultés de l’économie administrée. Rationnement par les prix, par les quantités, subventions, aides à la personne, incitations… quelles que soient les tentatives de réforme, la politique agricole semble voguer de crise en crise depuis plus de 25 ans. Aucun autre secteur de l’économie que l’agriculture pourtant n’est davantage encadré et soutenu.

Les justifications habituelles des politiques agricoles sont rarement convaincantes. On met ainsi en avant :

· Des arguments d’utilité : Certes la sécurité alimentaire représente une priorité de toute collectivité humaine. Reste à savoir de quelle manière l’assurer…

· Des arguments sociétaux : l’importance de l’agriculture pour le monde rural, les paysages et l’environnement, dont l’importance va au-delà de la seule rentabilité de la filière agricole. S’il est vrai que le monde rural a subi un traumatisme sans précédent, l’agriculture représentant encore un tiers des emplois avant guerre contre 4,5% aujourd’hui, cette évolution commune à tous les pays développés ne constitue que la continuation d’un processus engagé depuis le 18e siècle (l’agriculture représente 80 à 90% des emplois en 1789).

· Des arguments plus économiques : la demande étant supposée peu élastique aux prix, le marché est extrêmement volatil, une faible variation de l’offre entraînant de larges fluctuations d’ajustement. Cela n’est pas le seul fait de l’agriculture, et peut se traiter par des instruments appropriés (marchés à terme, contrats-cadre, assurances, etc) dans le cadre d’une économie de marché développée.

Il nous semble plus juste de prendre en compte l’influence des lobbies agricoles et ruraux ainsi que leur poids électoral. Un peu partout dans le monde, les électeurs ruraux sont surreprésentés par rapport aux urbains, qu’ils s’agissent d’élections locales ou parlementaires. Les ruraux bénéficient ainsi par tradition de puissants relais politiques (ce qui n’empêche pas le sentiment d’exclusion dont souffre le monde rural, face à l’évolution d’une société qui lui devient de plus en plus étrangère).

Après le traumatisme de la deuxième guerre mondiale et de la pénurie alimentaire qu’elle a engendrée, les gouvernements croient trouver leur salut dans le contrôle du secteur. Une vision erronée ? Il est vrai que la mise en place à l’échelon européen de la Politique Agricole Commune en 1962 consistant pour l’essentiel en une garantie des prix n’a fait que progressivement apparaître ses effets pervers (stérilisation des structures et surproduction). Ceux-ci deviennent évidents au début des années 1980 avec le gonflement des excédents. Pour les résorber, des quotas sont instaurés en 1984. Si la question sort de l’actualité immédiate pour quelques temps, les problèmes ne vont resurgir qu’avec plus de force dans les années 1990.

Au cours de cette décennie en effet, au vu du coût exorbitant de la PAC (45% du budget européen), les tentatives de réforme visent à se rapprocher des mécanismes de marché. Les prix sont progressivement libérés, avec en contrepartie la mise en place d’aides directes aux exploitants. Cette logique d’assistance se développe avec le train de réforme de 2003, qui instaure un découplage croissant entre la production et le montant des aides. Des raisons d’opportunités (le scandale des « gros chèques » versés aux exploitations les plus importantes, et aussi la volonté de contourner les règles de l’OMC mises en place en 1994) se sont ajoutées à des considérations structurelles : l’aide à la production encourage la concentration des exploitations, alors que la priorité affichée en faveur de l’environnement et de la fonction « sociale » en milieu rural de l’agriculture militerait pour un arrêt du processus de concentration.

Quoiqu’il en soit, les mécanismes d’assistance, une fois lancés, ne cessent d’enchaîner les effets pervers. L’aide à la production génère un productivisme gaspilleur et ravageur. Passe-t-on à un système déconnecté de la production ? L’agriculteur devient un assisté permanent enfermé malgré lui dans une logique d’infantilisation. Dans une large mesure les politiques d’assistance ne résolvent rien car l’aide se retrouve capitalisée dans le prix des terres (voire des facteurs de production). Les agriculteurs qui s’installent aujourd’hui sont pénalisés et fragilisés en conséquence par un endettement excessif, qui les met en difficulté au moindre retournement de conjoncture.

Les limites de l’exercice sont maintenant évidentes : entre 2005 et 2008, la planète est au bord de la crise alimentaire car les gouvernements favorisent de manière artificielle les biocarburants qui réduisent l’offre alimentaire et notamment les excédents disponibles pour l’exportation ; cette période est immédiatement suivie d’une baisse brutale de la demande due à la crise financière, qui entraîne une chute des prix, et donc des revenus des agriculteurs incapables d’y faire face.

Le désarroi du monde rural est bien compréhensible. La solution ne consiste pas à revenir à l’encadrement des prix et à l’assistanat généralisé. C’est bien au contraire une modernisation accélérée du monde rural qui est nécessaire aujourd’hui. Le passage à une agriculture plus extensive, plus solide car mieux capitalisée, et mieux intégrée dans son environnement international, est indispensable. Une révision drastique de la PAC s’impose à nouveau, qui visera à faire de l’agriculteur un véritable entrepreneur plutôt qu’un assisté permanent.

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